Faut-il démolir pour bâtir ?

Des voix s’élèvent pour remettre en question la démolition de l’église Saint-André de Cap-aux-Meules pour faire place à un complexe d’hébergement pour personnes âgées. Sachant que les intentions de chacune des parties au dossier sont louables, cet appel à la réflexion et à la discussion publique a le mérite de nous mettre en garde contre les décisions hâtives, mal comprises ou mal fondées et, surtout, irréparables.

Avant de voir le pic des démolisseurs passer à l’action, ne serait-il pas opportun de faire le point sur la démolition d’un immeuble religieux qui trône depuis cinquante ans au coeur du village central de l’archipel ? Avant de faire table rase du passé pour mieux répondre aux besoins du présent et de l’avenir, pourquoi ne pas clarifier le dossier, ses tenants et aboutissants, mettre la population dans le coup et, peut-on espérer, rallier la communauté autour d’un projet mobilisateur ?

On dira que la décision de vendre l’église à des fins de démolition relève de la Fabrique de la paroisse Saint-André, avec bien sûr la bénédiction des paroissiens et des autorités diocésaines. Les conséquences n’en sont pas moins suffisamment importantes pour que la population soit à tout le moins informée, voire consultée.

Clarifer les enjeux

On devine la pression financière à laquelle la Fabrique est confrontée alors que tant de paroissiens se détournent de la pratique religieuse. On suppose que les frais d’entretien et de réparations de l’immeuble représentent un défi quasi insurmontable. On imagine bien qu’une fusion éventuelle de la paroisse Saint-André avec celle, voisine, de Saint-Pierre de Lavernière soit considérée et peut-être même ardemment souhaitée. Quantité de raisons peuvent motiver la vente de l’église, mais un état de situation public aurait l’avantage de clarifier les enjeux.

On pourrait ainsi distinguer la fermeture du lieu de culte de la démolition d’une structure architecturale unique et originale, d’un point de repère important du patrimoine bâti madelinot. L’église, dont les formes évoquent la colombe, ne figure évidemment pas au rang des immeubles du patrimoine historique du Québec, pas plus qu’elle n’est classée parmi les édifices du patrimoine religieux. Ses particularités architecturales, résolument inscrites dans la modernité symbolique de la fin des années soixante, n’en demeurent pas moins dignes d’intérêt.

La vente et la transformation d’églises en salle de concert, en condos ou en auberges sont monnaie courante au Québec depuis quelques années. Pour les immeubles patrimoniaux, la démolition n’est bien sûr envisagée qu’en dernier recours et s’il n’existe aucune alternative. Exception faite de l’ancienne église de Havre-Aubert, démolie en 1961, le patrimoine religieux ou architectural que l’on n’a pu conserver aux Îles a été plus souvent qu’autrement la proie des flammes, sinon victime d’abandon jusqu’à la décrépitude totale.

Pour plusieurs, il y a quelque chose de profondément triste de devoir effacer les traces du passé pour bâtir l’avenir. Bien souvent, on doit s’y résoudre pour des raisons financières. La question qui se pose aujourd’hui, dans le cas de l’église Saint-André, est à savoir si on peut faire autrement ?

Ne pas compromettre le projet de résidence

Il serait vain et contreproductif d’opposer la construction d’une résidence multiclientèle pour personnes âgées à la volonté de sauvegarder une structure architecturale, aussi distinctive et emblématique soit-elle. Les besoins en matière d’hébergement pour les aînées aux Îles-de-la-Madeleine sont criants, documentés et largement reconnus. Ce n’est pas là la question. Les promoteurs ont élaboré un plan d’affaires crédible et un concept qui correspond aux attentes de la communauté. Ils ont analysé les lieux d’implantation possible, celui de l’immeuble Villa Plaisance et de l’église Saint-André, et ont choisi ce dernier pour des raisons de proximité avec l’hôpital, la pharmacie, etc.

Chacun pourra commenter à sa guise le choix de construire une imposante résidence pour personnes âgées de 4 étages en bordure de route, sur une étroite bande de terrain asphaltée et bétonnée, adossée à la mairie. À quelques centaines de mètres de là, le site de Villa Plaisance apparaitra aux yeux de plusieurs comme bucolique et nettement plus tranquille. Il aurait aussi l’avantage de nettoyer le secteur d’un immeuble fantôme, déclassé depuis plus de 5 ans. Cela étant, la localisation de la résidence, tout comme le financement du projet, sont de l’ordre du plan d’affaires et découlent d’une analyse d’opportunité qui appartient au promoteur.

En d’autres mots, on peut difficilement reprocher à la corporation responsable des Résidences Plaisance de faire les choix qui lui apparaissent les plus judicieux pour atteindre ses objectifs de rentabilité. Tout au plus pourrait-on s’interroger sur la faisabilité d’une intégration de la structure de l’église à une construction neuve. À Montréal, Québec et ailleurs dans le monde, nombre de bâtiments de valeur patrimoniale ont été préservés, parfois uniquement en façade, tout en faisant place à des constructions neuves adaptées aux usages contemporains. Quand cela est possible, une telle approche comporte souvent d’importantes incidences financières.

L’alternative

Dans l’éventualité peu probable où la Fabrique et les Résidences Plaisance accepteraient de rencontrer les paroissiens et les citoyens en général pour un engager un dialogue, les informer et écouter leur point de vue, quel autre sort pourrait-on imaginer pour l’église de Cap-aux-Meules ? Un projet à vocation communautaire ou culturelle, par exemple ? Qui en serait le promoteur, d’où les fonds d’aménagement proviendraient-ils et comment assurerait-on la viabilité à long terme de l’initiative ?

Architectes et ingénieurs ont aussi vanté les particularités architecturales d’un autre immeuble de Cap-aux-Meules, soit l’aréna Wendel-Chiasson. Fermé depuis bientôt 10 ans par la municipalité, l’immeuble n’a jamais trouvé preneur et les projets de conversion en complexe sportif semblent avoir été abandonnés.

Sans un solide projet de reconversion, la sauvegarde du patrimoine architectural – historique, institutionnel ou religieux – ne sera qu’un vœu pieux.

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3 réflexions sur “Faut-il démolir pour bâtir ?

  1. UN HOMME ET SON PROJET
    Que proposent ceux qui veulent la garder? Ont-ils trouvé un projet qui en assurerait la rentabilité? C’est bien beau de verser dans l’émotion, dans les regrets ou dans les souvenirs mais … la garder pour quel usage ? Cet édifice était la vision d’ UN HOMME. Et peut-être aussi la vision d’une époque révolue … au même titre que les fumoirs. Quand les poissons n’ont plus été au rendez-vous, ces grands bâtiments ont cédé la place à de nouveaux projets.
    Le seul fumoir qui a attendu le retour du hareng a fini par s’effondrer de lui-même. Quant au fumoir d’antan, seul et dernier témoin d’une activité révolue, il n’était pas la propriété d’une communauté de citoyens mais d’un seul homme qui avait le bras long et surtout UN PROJET.

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