L’inviolabilité des frontières électorales des Îles-de-la-Madeleine

Cette expression, c’est la députée des Îles Denise Leblanc qui l’a prononcée lors de l’adoption de la Loi électorale, en 1979, qui accordait un statut d’exception à la circonscription des Îles-de-la-Madeleine. Après avoir obtenu l’aval unanime des élus de l’Assemblée nationale, Mme Leblanc croyait bien avoir réglé le dossier des limites du comté une bonne fois pour toutes.

C’était sans compter le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), qui a développé la fâcheuse manie de ramener dans l’actualité une situation qui est pourtant enchâssée dans la loi, au même titre que son existence à lui, sa mission et son rôle. Encore la semaine dernière, le DGEQ a inscrit quelques lignes dans un rapport de la Commission de la représentation électorale qu’il préside pour inviter l’Assemblée nationale à se pencher sur le statut particulier accordé à l’archipel. Quand le gouvernement va-t-il enfin inviter le DGEQ à se mêler de ses affaires?

Le rôle du DGEQ

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le directeur général des élections tente de dicter sa conduite au législateur, remettant de facto en question la légitimité des décisions des élus du peuple. Ce faisant, il outrepasse son mandat. La Loi électorale de 1979 prévoit entre autres que le DGE veille à l’application de la loi, qu’il procède à l’étude et à l’évaluation des mécanismes électoraux et à des études sur le financement des partis politiques. Il peut aussi effectuer toute autre recherche qu’il juge utile.

C’est en sa qualité de président de la Commission de la représentation électorale que le DGEQ s’égare à chaque fois qu’il en a l’occasion. Chargé de réviser la carte électorale à toutes les deux élections, une fois sur deux, le directeur des élections faillit à a sa tâche en remettant en question l’article 171 qui accorde un statut d’exception à la circonscription des Îles. Au lieu de jouer son rôle et de réviser la carte électorale en appliquant la loi, il propose de réviser la loi. Imaginez ce que ça donnerait si la police suivait son exemple…

Que chaque vote compte

La révision périodique de la carte électorale a pour but de maintenir un certain équilibre démocratique en préservant un maximum de 25% d’écart de population entre les différentes circonscriptions du Québec. Pour que chaque vote ait un poids comparable. Ce qui agace, c’est que le DGEQ tient mordicus à cette partie de la loi, tout en rejetant systématiquement le statut d’exception des îles qui sert justement de balise à l’application de la règle dui 25% de la loi. Cet article 171 permet que l’on applique cette loi avec discernement, et non pas de façon mécanique, bête et méchante.

Le statut d’exception des Îles obéit d’ailleurs à une logique complémentaire à la mathématique de la loi électorale du Québec, qui définit une circonscription électorale comme «une communauté naturelle établie en se fondant sur des considérations d’ordre démographique, géographique et sociologique, telles que la densité de la population, le taux relatif de croissance de la population, l’accessibilité, la superficie et la configuration de la région, les frontières naturelles du milieu ainsi que les limites des municipalités locales».

Le DGE connait d’ailleurs très bien cette logique de «communauté naturelle» puisqu’il l’a récemment invoquée pour proposer l’abolition de la circonscription de Manon Massé (Ste-Marie-St-Jacques) pour mieux maintenir intacte celle d’Outremont (!), avec les résultats que l’on sait.

Indéfendable

À lui seul, l’aspect de la «communauté naturelle» suffirait à prouver qu’un rattachement électoral éventuel des Îles à la Gaspésie serait indéfendable. Comme les élus locaux l’avaient fait valoir en commission parlementaire en 2006, il faut ajouter à cela le caractère unique et insulaire du territoire, l’accessibilité essentielle au député, la notion du poids politique et la nécessité d’une voix pour notre région. «Le caractère insulaire de la circonscription, disait-on, signifie concrètement que l’archipel possède des particularités géographiques, historiques, sociales et économiques qui entraînent des enjeux écologiques, démographiques, socioéconomiques et politiques. (…) Ce sont donc des enjeux qui exigent des adaptations constantes dans la mise en oeuvre des interventions et des programmes gouvernementaux.»

L’exemple du comté fédéral, perdu en 1968, illustre trop bien ce qu’Il pourrait en couter de perdre le siège de notre représentant à Québec. L’influence toute relative que nous exerçons depuis 40 ans sur les politiques du gouvernement canadien et sur notre député fédéral, bien souvent gaspésien et que nous voyons bien rarement, démontre bien le danger. Que ce soit dans le secteur des pêches, le transport où le développement économique, les dossiers où la voix des Madelinots n’a même pas atteint la colline parlementaire d’Ottawa sont nombreux.

Et maintenant

En prétextant que la situation des Îles a bien changé depuis 1895 afin de soutenir son idée d’abolir le statut particulier des Îles, le directeur des élections fait preuve d’ignorance ou de mauvaise foi. Certes, l’archipel a son comté depuis1895, mais ce n’est que depuis 1979 que cela est enchâssé dans la loi électorale. De plus, l’argumentaire de l’époque est d’ailleurs tout aussi valide aujourd’hui.

Il fallait s’y attendre, le député Germain Chevarie est monté au créneau et a rapidement rejeté l’hypothèse soulevée par le DGEQ. On n’en n’attendait pas moins de sa part.

La ministre des Institutions démocratiques, Rita de Santis, n’a pas été aussi claire. La ministre, qui est davantage connue pour ses bourdes que pour son bon jugement, a d’abord déclaré ne pas fermer la porte à la discussion. Le député des Îles a par la suite nuancé ses propos.

Ce serait quand même absurde que le récent décret du statut particulier des îles, un geste politique, devienne un prétexte pour justifier l’abolition de la circonscription d’exclusion protégée par la loi. Pour l’instant, le député Chevarie rapporte que le premier ministre Couillard n’a aucune intention de se pencher sur la proposition du DGEQ. Pour en avoir le cœur net, il est à souhaiter que le chef du gouvernement fasse rapidement ses propres déclarations et qu’il profite de l’occasion pour réaffecter le directeur des élections à sa véritable mission.

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